La suppression de la taxe d’habitation devait être la grande mesure sociale du quinquennat : elle se révèle inégalitaire et très mal préparée. Rien n’est en effet pensé pour rendre la fiscalité plus juste – la revalorisation des bases locatives est renvoyée aux calendes grecques – et plus simple. Au contraire, le système de compensation est d’une complexité rare. Pour les collectivités locales, aucune visibilité financière n’est possible au-delà de la première année d’application. Il est pourtant indispensable d’anticiper les effets induits de cette réforme avant qu’ils ne se produisent afin de pouvoir les neutraliser. Le gouvernement doit s’y engager.
Car la véritable réforme n’est pas celle annoncée. La disparition de la taxe d’habitation va bouleverser les indicateurs financiers qui déterminent la répartition des dotations, notamment celles dédiées à la péréquation. Globalement, les collectivités riches vont voir leur potentiel fiscal s’abaisser, tandis que les collectivités pauvres verront le leur être relevé. Cette modification de la richesse relative aura des conséquences majeures : le cabinet Klopfer prévoit ainsi que 1849 communes perdront le bénéfice de la dotation de solidarité rurale (DSR) cible pour la seule année 2022, soit un impact plus fort que celui de la loi NOTRe.
Cette non-réforme de la fiscalité locale est symptomatique de la détérioration des relations entre l’Etat et les collectivités
Depuis 20 ans, l’autonomie financière et fiscale de ces dernières n’a cessé de reculer. Dès 1999 avec la suppression progressive de la part salaire de la taxe professionnelle, la solution proposée aux collectivités est celle d’une compensation par une dotation de l’Etat, qui fatalement été réduite avec le temps malgré les promesses initiales. Au fur et à mesure des « réformes » dont la pire a certainement été la suppression brutale de la taxe professionnelle, les différentes catégories de collectivités ont perdu leurs leviers fiscaux. Les régions ne reçoivent aujourd’hui que des produits de fiscalité dont elles ne maitrisent pas les taux. Il en sera de même demain des départements, alors que le bloc communal verra disparaître une de ses principales ressources.
La fiscalité locale tient pourtant un rôle majeur si l’on reconnait le rôle déterminant des collectivités territoriales pour répondre aux besoins de la population. Pour assurer le service public local et jouer leur rôle d’aménageurs du territoire, la décentralisation a reconnu aux collectivités un pouvoir fiscal indispensable à leur liberté de gestion. Ce lien fiscal avec les citoyens, parce qu’il renforce le consentement à l’impôt, est consubstantiel à la démocratie.
Toute nouvelle impulsion donnée à la décentralisation doit donc, en préalable, affirmer le principe constitutionnel d’autonomie fiscale des collectivités territoriales.
Les fossoyeurs de la décentralisation veulent la fin de la fiscalité locale
L’actuelle majorité est déjà en train de préparer la prochaine étape ! Ses arguments pour la disparition de la TH pourront demain être utilisés à l’appui de la suppression des taxes foncières, puisqu’il s’agit des mêmes bases. Mais il y a plus inquiétant encore : sous l’impulsion du Medef, le Gouvernement songe ouvertement à remettre en cause la fiscalité dite de production : CVAE et CFE. Par la voix d’une ministre, le gouvernement affirmait cette semaine souhaiter inscrire ces impôts « dans une trajectoire de baisse entre 2021 et 2025 ». CVAE et CFE ont pourtant été créées pour remplacer la taxe professionnelle supprimée en 2010 ! Au bénéfice des communes et de leurs intercommunalités, la CFE représente une ressource de 7 milliards d’euros. La CVAE, répartie entre communes, EPCI, départements et régions, rapporte 18md €. Il est par ailleurs significatif de noter que la droite parlementaire soutient aujourd’hui ce coup de canif fiscal « économique », au dépend des collectivités.
Nous sommes face à une tendance lourde qui vient de loin mais s’accélère aujourd’hui. Pour l’avenir, c’est l’idée même de fiscalité locale, et donc de décentralisation, qui est attaquée.